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jocelyn.

Ô travail, sainte loi du monde,
Ton mystère va s’accomplir !
Pour rendre la glèbe féconde,
De sueur il faut l’amollir.
L’homme, enfant et fruit de la terre,
Ouvre les flancs de cette mère
Où germent les fruits et les fleurs ;
Comme l’enfant mord la mamelle,
Pour que le lait monte et ruisselle
Du sein de sa nourrice en pleurs.


La terre, qui se fend sous le soc qu’elle aiguise,
En tronçons palpitants s’amoncelle et se brise ;
Et, tout en s’entr’ouvrant, fume comme une chair
Qui se fend et palpite et fume sous le fer.
En deux monceaux poudreux les ailes la renversent.
Ses racines à nu, ses herbes se dispersent ;
Ses reptiles, ses vers, par le soc déterrés,
Se tordent sur son sein en tronçons torturés ;
L’homme les foule aux pieds, et, secouant le manche,
Enfonce plus avant le glaive qui les tranche ;
Le timon plonge et tremble, et déchire ses doigts.
La femme parle aux bœufs du geste et de la voix :
Les animaux, courbés sur leur jarret qui plie,
Pèsent de tout leur front sur le joug qui les lie ;
Comme un cœur généreux leurs flancs battent d’ardeur ;
Ils font bondir le sol jusqu’en sa profondeur.
L’homme presse ses pas, la femme suit à peine ;
Tous au bout du sillon arrivent hors d’haleine ;
Ils s’arrêtent : le bœuf rumine, et les enfants
Chassent avec la main les mouches de leurs flancs.