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neuvième époque.

Un silence complet endormait la nature ;
Le torrent desséché s’étendait sans murmure ;
Je comptais les rochers de son lit peu profond,
Par la lune baignés, blanchissants jusqu’au fond ;
Et dans l’air de la nuit, sans haleine et sans voiles,
On aurait entendu palpiter les étoiles.
Je fus tiré du sein de ma réflexion
Par un étrange bruit de respiration ;
J’écoutai : c’était bien une pénible haleine
Qui sortait, sous le pont, d’une poitrine humaine,
Et qu’au fond du ravin, de moment en moment,
Entrecoupait un faible et sourd gémissement.
Je refuse un instant le souffle à ma poitrine ;
Au bas du parapet, l’œil tendu, je m’incline ;
Je regarde, j’appelle, et rien ne me répond.
Par le lit du torrent je descends sous le pont.
La lune en inondait l’arche basse et profonde,
Ses rayons y tremblaient sur le sable au lieu d’onde,
Et, répandant assez de jour pour l’éclairer,
Laissaient l’œil et les pas libres d’y pénétrer.
Des ronces et des joncs écartant quelque tige,
J’entrai d’un pas tremblant sous cette arche. Que vis-je ?
Un jeune homme, le corps sur le sable étendu,
Le frisson de la mort sur sa peau répandu,
Sans regard et sans voix, le bras sur quelque chose
De long, d’étroit, de blanc, qui près de lui repose,
Et que, dans son instinct, sa main, ouverte encor,
Semblait contre son cœur presser comme un trésor.
Je recule d’un pas, la pitié me rapproche.
Recueillant un peu d’eau dans le creux d’une roche,
J’en baigne avec la main son front évanoui :
Il rouvre un œil mourant, par la lune ébloui,
Jette un regard confus sur mon habit, regarde
Si rien n’a déplacé le long fardeau qu’il garde,