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notes.

gueux comme les vagues brisées d’un torrent. Il y a un charme infini dans les accidents apportés au paysage par les fantaisies de cette rivière ; elle se lance à droite et à gauche, elle se projette en arc à travers la plaine, ondoie comme un serpent, ou se précipite droit devant elle comme un jouteur pressé d’arriver.

» Les montagnes qui la regardent passer, avec leurs cimes couronnées de neige et leurs riantes collines, sont, dans ce large paysage, comme dans un tableau d’intérieur une aïeule aux cheveux blancs, qui accorde un sourire aux jeux de ses petits-enfants. Ces montagnes sont des merveilles de contraste et de beauté. La chaîne qui se prolonge à droite de la rivière semble avoir subi de violentes et anciennes catastrophes. À tout moment elle vous apparaît au détour de la route ou dans l’enfoncement de la plaine, pêle-mêle avec ses rochers, ses forêts et ses cascades. La chaîne entière est taillée à pic vers la cime, et ressemble à une immense et colossale muraille hérissée de créneaux. Celle de la rive opposée n’a pas de rochers à son sommet ; le terrain ondule et se développe en mamelons jusqu’à la crête. De distance en distance, le terrain s’enfonce en entonnoir pour l’écoulement des eaux de la montagne ; et, dans les temps de pluie et à la fonte des neiges, tous ces entonnoirs sont occupés par des torrents qui regorgent dans l’Isère. Les flancs des montagnes sont couverts de champs, de prairies et de vignes ; les hauteurs sont vêtues d’immenses forêts. À la fin de l’automne, ces forêts ressemblent assez bien à des peaux tigrées : le noir sapin se détache vivement sur un fond jaune, et la blancheur des trembles contraste avec les tons sombres du mélèze. Çà et là, du haut des pins gigantesques, tombent des cascades qui se détachent des rochers et se répandent en pluie dans les airs. Quelquefois vous entendez les gémissements de l’eau qui frappe contre la pierre, et vous ne savez où la trouver : ce sont des torrents qui coulent dans des abîmes cachés.

» La première fois que l’on voyage dans un pays de montagnes, ou quand on y revient après une longue absence, on ressent une émotion que je ne saurais mieux comparer qu’à une première impression de la musique. La nature des pays de plaines est sourde et muette ; rien n’y répond au cœur, rien n’y est sympathique à l’âme, rien ne vous satisfait. Ici vous avez une nature vivante, pleine de luxe et de puissance ; une nature que vous comprenez, qui vous entend et vous répond. Il se fait autour de vous un bruit mystérieux et mélancolique : les sapins résonnent comme l’orgue au moindre souffle de l’air ; le vent soupire dans