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notes.

ne voyais plus rien que les ténèbres. Nous n’entendions plus que confusément les clameurs de la cascade et les grondements de la rivière. Les cris des chouettes et des hiboux interrompaient seuls le silence de la nuit. Tout dort, excepté vous, oiseaux de mauvais augure ! Vous êtes comme les pensées du désespoir, comme les soucis de l’envie et du remords ; vous attendez la nuit pour élever la voix, afin qu’aucun bruit étranger à vous ne vous empêche d’être entendus. Mais aujourd’hui, voix de malheur, criez aussi haut qu’il vous plaira ; je n’ai pas le temps de vous écouter. Bonsoir, je vais dormir.

» En finissant cette harangue tant soit peu grotesque, j’étendis mon manteau par terre, tout près du feu. Mon compagnon en fit autant, et nous nous endormîmes d’un sommeil profond.

» Nous dormions depuis un certain nombre d’heures, lorsque nous fûmes réveillés par des coups de fusil qui détonnèrent avec grand bruit dans les échos de la montagne. Je mis le nez hors de mon manteau, et je vis mon camarade de lit se lever à demi et regarder avec inquiétude.

» — Qu’est-ce que cela ? demandai-je.

» — Des contrebandiers, peut-être ! répondit-il.

» Nous avions à peine échangé ces mots, que nous entendîmes comme des cris tumultueux, puis les aboiements d’une meute nombreuse.

» — C’est une battue au loup, me dit-il ; j’en appris hier le projet au village d’Entremont.

» — Ah ! vous avez des loups ? fis-je avec beaucoup de curiosité.

» — Quelques-uns, dans les hauteurs.

» — J’en suis bien aise.

» — Bah ! et pourquoi ?

» — Par la raison assez simple que je n’en ai jamais vu, et que je serais fort satisfait de pouvoir me convaincre par moi-même de leur existence.

» — En ce cas, me répondit mon nouvel ami, le hasard vous sert à merveille. La preuve que vous demandez va déboucher par le ravin, selon toute apparence : attention…! La voilà, me dit-il en me montrant du doigt un quadrupède qui sortit assez gravement d’un bois voisin. Armez votre fusil, et attendez de pouvoir tirer presque à bout portant.

» Je m’adossai à un arbre et j’attendis. L’animal vint droit au-devant de moi, je me troublai, et je déchargeai mon fusil sur lui qu’il était encore à vingt pas de distance. Je le blessai légèrement. Il s’élança contre moi furieux et en poussant des hurle-