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notes.

nombre d’animaux, menacés par l’impôt, les auront réduits ou sacrifiés à l’économie ? Déduction faite des frais de perception et des fraudes, presque rien ! Et encore combien, en frappant les chiens du foyer, les chiens domestiques, dont le seul service est d’aimer leurs maîtres et d’en être aimés, combien n’aurez-vous pas froissé, blessé, contristé d’affections, d’habitudes, de sociétés devenues, pour ainsi dire, des intimités ? Que de solitaires, que de pauvres femmes travaillant en chambre, que de vieillards sans famille et sans amis, repoussés dans leurs infirmités par tout le monde, excepté par cet animal, qui n’abandonne jamais, le seul être peut-être qui s’attache à l’homme en sens inverse de sa fortune, plus dévoué aux plus misérables, plus assidu autour des plus abandonnés ! Que d’enfants à qui leur père sera obligé de retrancher le chien du foyer ! Véritable calamité domestique, véritable dommage moral fait à l’enfance, car le chien a une fonction auprès de l’enfant. Le chien apprend à aimer ; il enseigne l’amitié à l’homme ! Eh bien ! il faudra, après votre impôt, que tout cela paye, ou se prive du chien, du compagnon, du gardien, du serviteur, du consolateur, de l’ami ! Il faudra que toute cette partie solitaire, infirme, indigente de la population tue son chien, ou se retranche, sur le nécessaire, une partie du morceau de pain qui la nourrit, et qu’elle partage généreusement avec cet ami du pauvre, pour pouvoir payer les quinze ou vingt francs par an dont vous proposez de frapper non pas seulement les services que le chien rend à l’homme, mais encore l’instinct qui l’attache à nous ! Impôt presque immoral, impôt sans intelligence, sans miséricorde et sans entrailles ; véritable impôt sur le sentiment, qu’on pourrait appeler, sans vous faire injure, une dîme sur le cœur du peuple !

Je pourrais m’étendre davantage, mais je vois que j’en ai assez dit sur la portée de la proposition, pour vous dégoûter d’une si cruelle épreuve, et vous démontrer la stérilité d’un tel impôt. Quant à ceux qui ne voient dans cet impôt qu’un moyen indirect de diminuer le nombre des chiens sans maîtres, et de réduire par là les cas d’hydrophobie, je demanderai avec eux que tout chien ait un maître responsable, et soit assujetti à des précautions de police prudentes et sévères, pourvu qu’elles ne dégénèrent pas dans ces empoisonnements atroces, dans ces piéges et dans ces immolations en masse dont nos regards et nos cœurs sont attristés ici tous les jours, et qui donnent des leçons de cruauté publique au peuple dans nos rues. Le meilleur préservatif, c’est qu’on ne persécute pas ces animaux ; c’est qu’au premier bruit d’un chien