Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
avec le lecteur.

moires et l’épiderme ciré des tables de sapin devinssent des miroirs où son bras se réfléchissait ; puis elle laissait encore les meubles, et reprenait l’aiguille et le fil pour faire des reprises aux chasubles, aux nappes d’autel, aux petites serviettes fines avec lesquelles le prêtre essuie les bords du calice après qu’il a bu le vin mystique ; puis elle se relevait comme en sursaut de sa chaise, jetait sur son bras le linge de la sacristie, et allait rallumer le feu, écumer la marmite de terre du foyer, ouvrir la porte de la cour, et regarder du côté de la sacristie, comme pour voir si son maître ne revenait pas, ainsi que d’habitude, pour l’heure du repas. Le chien, qui sortait avec elle, allait en flairant jusqu’à la fosse fraîchement recouverte de terre, et jetait deux ou trois hurlements au bord de la fosse pour réveiller son maître. Il revenait lentement, en s’arrêtant et en se retournant souvent, la tête basse, l’œil consterné, les oreilles dressées, l’une en avant, l’autre en arrière, comme étonné de ne pas ramener derrière lui quelqu’un qu’on attendait toujours. Geneviève alors appelait le chien d’un accent de triste impatience, le faisait rentrer dans la cour, et remontait elle-même, les yeux rouges, l’escalier extérieur. Pendant quelques minutes on n’entendait plus son pas dans la maison. Elle pleurait seule dans la cuisine, puis elle ressortait pour aller faucher de l’herbe à la chèvre. On eût dit qu’un esprit inquiet la chassait d’une place à l’autre pour lui faire chercher, comme malgré elle, quelque chose qu’elle ne trouvait nulle part.

Oh ! Dieu seul connaît le vide que la disparition d’un solitaire creuse dans le cœur d’une pauvre femme, d’un seul ami, d’un chien, d’une cage d’oiseau, d’une maison, d’un jardin, et de la nature même, vivante ou morte, dans le petit cercle immédiat autour de lui ! Pendant que personne ne se doute qu’il manque un souffle au monde, il manque l’air et la vie à deux ou trois êtres qui vivaient de l’être éva-