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entretien

noui ! Tout se tient dans ce ciment des vieilles et chères habitudes : ôtez un grain de sable, le mur s’écroule ; le mur écroulé, que devient la mousse qui le drapait ? la mousse séchée, que deviennent le nid de l’insecte et la fente du lézard ? Autour du cœur de l’homme le plus isolé, il y a un monde invisible qui vivait de lui : quand ce cœur est froid, que devient-il ? Ce que devenait la servante : une âme en peine, un regard sans voir, un pas éternel sans but, une activité sans repos ; une vie machinale, une mort qui vit. Telle était Geneviève.

III

J’ai toujours contemplé avec un pieux respect et avec un sourire d’attendrissement ce qu’on appelait l’esclave ou l’affranchi dans l’antiquité, la nourrice en Grèce ou dans le moyen âge, le domestique, c’est-à-dire la partie vivante de la maison (domus) en France, la famille en Italie et en Espagne : véritable nom de la domesticité, car le domestique n’est au fond que le complément, l’extension de cette chère et tendre unité de l’association humaine qu’on appelle la famille ; c’est la famille moins le sang, c’est la famille d’adoption, c’est la famille viagère, temporaire, annuelle, la famille à gages, si vous voulez : mais c’est la famille souvent aussi incorporée, aussi aimante, aussi désintéressée, aussi payée par un salaire de sentiment, aussi dévouée à la considération, à l’honneur, à l’intérêt, à la prospérité de la maison, que la maison même : que dis-je ? souvent bien plus. J’ai été frappé de bonne heure de cette phrase de l’historien des proscriptions sanglantes du triumvirat romain d’Octave, d’Antoine et de Lépide. Il raconte les spoliations, les mas-