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preuves de parenté et de dévouement à la famille, qu’Eumée, le vieux serviteur Eumée, en donne, dans Homère, au fils de la maison, Ulysse, visitant ses foyers usurpés.

Il y a, dans l’histoire d’Angleterre, un récit de la fidélité d’une servante ou nourrice, comme on les appelait alors, que je n’ai jamais lu sans bénir et glorifier dans mon cœur la domesticité. Le voici :

Le duc de Norfolk, parent et héritier du trône de la reine Élisabeth, se prend d’amour pour la Cléopâtre moderne, pour la captive d’Holy rood, pour la belle et infortunée Marie Stuart, reine d’Écosse. Il conspire avec ses vassaux pour l’enlever de son cachot, et pour lui rendre un trône avec son cœur. Élisabeth découvre le mystère de ses amours, rompt la trame, arrête Norfolk, et le fait condamner à avoir la tête tranchée sur un échafaud dressé dans la tour de Londres. Le duc, accompagné de ses amis, à qui il était permis alors de faire cortége au mourant, s’avance fièrement vers le lieu du supplice. Arrivé au pied de l’échafaud, il a soif, et demande à boire. Une femme âgée et voilée qui l’avait suivi tout en pleurs, dit l’historien, lui présente une coupe que le duc reconnut aussitôt. C’était sa propre coupe, celle de ses ancêtres ; et cette femme prévoyante et attentive jusqu’à la mort était sa nourrice, la servante de ses châteaux. Elle versa de l’ale dans la coupe ; le mourant y trempa ses lèvres. Lorsqu’il tendit la coupe vide à la pauvre femme, elle saisit et baisa en pleurant la main de son maître. « Que Dieu te bénisse, lui dit le duc, et que mes enfants te vénèrent à cause de ce que tu as fait ! » Puis, comme il sentit qu’il s’attendrissait à l’heure où l’homme a besoin de sa force, il monta rapidement les degrés de l’échafaud, appuyé sur le bras du doyen de Saint-Paul.