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mon lit, ni une eau plus limpide pour boire dans une jatte de terre vernie ; jamais je n’avais trouvé plus exactement, au retour de mes longues chasses dans les bois, la farine de maïs bouillottant à petit feu dans la marmite sous sa croûte dorée, la pomme de terre sous la cendre, le chou, la rave, la courge du jardin, cuites au four, et le pain de seigle plus savoureux et plus frais, sous la serviette de chanvre écru, dans la huche ; jamais le beurre ou le miel de la plaine n’avait été si jaune, si onctueux, si attentivement battu dans l’étable ou si proprement servi dans le rayon de cire. C’était le régime auquel j’avais été habitué à la campagne pendant mon enfance chez une mère sobre et tendre ; le régime des chartreux, assaisonné par la tendresse et la grâce d’une femme.

Selon l’habitude de ces montagnes, nous prenions nos repas du soir dans la cuisine, sur la seule table de noyer massif, longue et étroite, qu’il y eût dans la maison. À l’extrémité de cette table, Geneviève, comme du temps de son maître, étendait la nappe, mettait mon assiette, mon couvert d’étain, et posait les plats, le pain et le vin ; je m’asseyais sur un des bancs de bois qui règnent des deux côtés de la table. À l’autre bout il n’y avait point de nappe, il n’y avait qu’une écuelle et une assiette de terre, dans laquelle la servante prenait sa soupe et sa portion de lard, de courge, de salade ou de choux, en même temps que moi. Mais, selon les rites du pays, elle mangeait debout, son écuelle à la main, continuant à me servir, allant et venant, comme le reste du jour, dans la cuisine, attisant le foyer, battant le beurre, grillant les châtaignes, jetant des morceaux de son pain au chien qui l’épiait assis devant son tablier, et qui ne perdait pas sa main de l’œil. Je ne cherchais nullement à la contraindre dans ses habitudes respectueuses et familières à la fois de ménagère ; je l’aurais plutôt em-