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CHAPITRE VI.

venant, en reculant encore, comme si nous ne nous étions pas tout dit ; mais le danger pressait : je refermai la grille sur lui, je ramassai ma zampogne et je revins m’asseoir sur les marches du cloître, vis-à-vis du puits des colombes, et, pour que personne ne se doutât de rien parmi les prisonniers et les prisonnières, j’eus l’air de m’être endormie pour la sieste, au pied d’un pilier, et je me mis à jouer des airs de zampogne comme pour passer le temps.

Ah ! mes airs cette fois n’étaient pas tristes, allez ! Je ne sais pas où je les prenais, mais le bonheur de savoir qu’il m’aimait et le soulagement que j’éprouvais de lui avoir osé dire enfin : Je t’aime ! l’emportaient sur tout, prison, grilles, chaînes, échafaud même ; la zampogne semblait plutôt délirer que jouer sous mes doigts, et les notes qui s’échappaient criaient de joie, insensées, comme les eaux de la grotte, amassées dans le bassin et longtemps retenues, quand nous ouvrons les rigoles, s’élancent en cascades en se précipitant en écume et en bondissant au lieu de couler, et je me disais : il m’entend, et ce délire est un langage à son oreille qui lui apprend ce que ma bouche n’a pas achevé de lui confesser.

Les prisonniers se pressaient aux lucarnes et croyaient peut-être que j’étais tombée en folie. Les colombes même battaient des ailes comme de plaisir à m’entendre, ces jolies bêtes se regardaient, se becquetaient, se lissaient les plumes et semblaient se dire : Tiens ! en voilà une qui est donc aussi amoureuse que nous !