Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/261

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des Harmonies, Jocelyn, et ces pièces sans nom que je vous envoie. Vous savez comment je les écris ; vous savez combien je les apprécie à leur peu de valeur ; vous savez combien je suis incapable du pénible travail de la lime et de la critique sur moi-même. Blâmez-moi, mais ne m’accusez pas, et, en retour de trop d’abandon et de faiblesse, donnez-moi trop de miséricorde et d’indulgence. Naturam sequere !

Les heures que je puis donner ainsi à ces gouttes de poésie, véritable rosée de mes matinées d’automne, ne sont pas longues. La cloche du village sonne bientôt l’Angélus avec le crépuscule ; on entend dans les sentiers rocailleux qui montent à l’église ou au château le bruit des sabots des paysans, le bêlement des troupeaux, les aboiements des chiens de berger et les cahots criards des roues de la charrue sur la glèbe gelée par la nuit ; le mouvement du jour commence autour de moi, me saisit et m’entraîne jusqu’au soir. Les ouvriers montent mon escalier de bois et me demandent de leur tracer l’ouvrage de leur journée ; le curé vient et me sollicite de pourvoir à ses malades ou à ses écoles ; le maire vient, et me prie de lui expliquer le texte confus d’une loi nouvelle sur les chemins vicinaux, loi que j’ai faite et que je ne comprends pas mieux que lui. Des voisins viennent, et me sommant d’aller avec eux tracer une route ou borner un héritage ; mes vignerons viennent m’exposer que la récolte a manqué et qu’il ne leur reste qu’un ou deux sacs de seigle pour nourrir leur f-mme et cinq enfants pendant un long hiver ; le courrier arrive chargé de journaux et de lettres qui ruissellent comme une pluie de paroles sur ma table, paroles quelquefois douces, quelquefois amères, plus souvent indifférentes, mais qui demandent toutes une pensée, un mot, une ligne. Mes hôtes, si j’en ai, se réveillent et circulent dans la maison ; d’autres arrivent et attachent