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ait honneur et vertu à se mettre à part dans le petit troupeau des sceptiques, et à dire comme Montaigne : « Que sais-je ? » ou comme l’égoïste : « Que m’importe ? »

Non. Lorsque le divin juge nous fera comparaître devant notre conscience à la fin de notre courte journée d’ici-bas, notre modestie, notre faiblesse, ne seront point une excuse pour notre inaction. Nous aurons beau lui répondre : « Nous n’étions rien, nous ne pouvions rien, nous n’étions qu’un grain de sable ; » il nous dira : « J’avais mis devant vous, de votre temps, les deux bassins d’une balance où se pesaient les destinées de l’humanité : dans l’un était le bien, dans l’autre était le mal. Vous n’étiez qu’un grain de sable, sans doute ; mais qui vous dit que ce grain de sable n’eût pas fait incliner la balance de mon côté ? Vous aviez une intelligence pour voir, une conscience pour choisir ; vous deviez mettre ce grain de sable dans l’un ou dans l’autre ; vous ne l’avez mis nulle part. Que le vent l’emporte ! il n’a servi ni à vous ni à vos frères. »

Je ne veux pas, mon cher ami, me faire en mourant cette triste réponse de l’égoïsme ; et voilà pourquoi je termine à la hâte ce griffonnage et je vous dis adieu.

Mais je m’aperçois que cette lettre a vingt pages ; tant pis : il est trop tard pour la recommencer.

M. Charles Gosselin me demande un avertissement ; si cette lettre est trop longue pour une lettre, faites-en une préface. Cela ne se lit pas.

DE LAMARTINE.
Saint-Point, 1er  décembre 1838.