Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/268

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faire en moi-même pour vaincre ma timidité de jeune homme en la traversant, et sans envoyer mentalement un respect et une reconnaissance à la femme distinguée qui m’y accueillait.

J’étais, depuis ma tendre enfance, un admirateur exalté du génie et du caractère de Mme de Staël. Corinne avait mon premier roman, c’est le roman des poètes. Le livre religieux, libéral, mystique, républicain De l’Allemagne, m’avait révélé à moi-même mes sentiments encore confus de métaphysique et libéralisme. C’était le génie du Nord présenté à la France, qui l’ignorait, par la main d’une femme éminemment méridionale ; l’éclat sur la profondeur. J’étais ivre du nom de Mme de Staël.

Hélas ! il n’y avait plus d’elle à Paris que son nom ; elle venait de mourir. J’avais désiré passionnément l’entrevoir seulement sur la grande route de Genève à Coppet. J’avais attendu des journées entières le passage de sa voiture, assis sur les bords du fossé du chemin : je n’avais vu que la poussière des roues de sa calèche. Jamais je n’avais osé entrer dans sa cour à Coppet, me faire annoncer sous un nom inconnu du monde, et lui dire : « Voilà un passant qui ne veut emporter de vous qu’un rayon de votre génie dans ses yeux. » C’est ainsi que, lecteur fanatique alors de René, d’Atala, du Génie du christianisme, j’étais allé souvent passer des heures dans les sentiers d’Aunay, habité par M. de Chateaubriand, sans oser sonner à sa porte. Je me contentais de monter sur une colline boisée qui dominait son jardin, et de l’apercevoir de loin, lisant, causant ou écrivant sur ses pelouses. Le génie est une attraction et une terreur, comme tous les mystères ; il m’a toujours inspiré quelque chose de cette impression de divinité que les Gaulois adoraient et redoutaient dans les femmes. Mais je désirais