Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/84

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Et que les vents, pareils aux dents des boucs avides,
Écorcent jour à jour le tronc des Pyramides :
Des hommes et des jours ouvrages imparfaits,
Le temps peut les ronger, c’est lui qui les a faits ;
Leur dégradation n’est pas une ruine,
Et Dieu les aime autant en sable qu’en colline.
Mais qu’un esprit divin, souffle immatériel
Qui jaillit de Dieu seul comme l’éclair du ciel,
Que le temps n’a point fait, que nul climat n’altère ;
Qui ne doit rien au feu, rien à l’onde, à la terre ;
Qui, plus il a compté de soleils et de jours,
Plus il se sent d’élan pour s’élancer toujours,
Plus il sent, au torrent de force qui l’enivre,
Qu’avoir vécu pour l’homme est sa raison de vivre ;
Qui colore le monde en le réfléchissant ;
Dont la pensée est l’être et qui crée en pensant ;
Qui, donnant à son œuvre un rayon de sa flamme.
Fait tout sortir de rien et vivre de son âme,
Enfante avec un mot, comme fit Jéhova,
Se voit dans ce qu’il fait, s’applaudit, et dit : « Va ! »
N’a ni soir ni matin, mais chaque jour s’éveille
Aussi jeune, aussi neuf, aussi dieu que la veille ;
Que cet esprit captif dans les liens du corps
Sente en lui tout à coup défaillir ses ressorts,
Et, comme le mourant qui s’éteint, mais qui pense,
Mesure à son cadran sa propre décadence ;
Qu’il sente l’univers se dérober sous lui,
Levier divin, qui sent manquer le point d’appui,
Aigle pris du vertige en son vol sur l’abîme,
Qui sent l’air s’affaisser sous son aile et s’abîme :
Ah ! voilà le néant que je ne comprends pas !
Voilà la mort, plus mort que la mort d’ici-bas !
Voilà la véritable et complète ruine !
Auguste et saint débris devant qui je m’incline,