Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/92

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Si jamais, sur ces mers dont le doux souvenir
M’émeut comme un coursier qu’un autre entend hennir,
Mon navire inconnu, glissant sous peu de voile,
Venait à rencontrer sous quelque heureuse étoile
Le dôme au triple pont qui berce ton repos,
Je jetterais de joie une autre bague aux flots ;
Mes yeux contempleraient ton large front d’Homère,
Palais des songes d’or, gouffre de la Chimère,
Où tout l’Océan entre et bouillonne en entrant,
Et d’où les flots sans fin sortent en murmurant,
Chaos où retentit ta parole profonde,
Et d’où tu fais jaillir les images du monde ;
J’inclinerais mon front sous ta puissante main,
Qui de joie et de pleurs pétrit le genre humain ;
J’emporterais dans l’œil la rayonnante image
D’un de ces hommes-siècle et qui nomment un âge ;
Mes lèvres garderaient le sel de tes discours,
Et je séparerais ce jour de tous mes jours ;
Comme, au temps où d’en haut les célestes génies,
Prenant du voyageur les sandales bénies,
Marchaient dans nos sentiers, les voyageurs pieux
Dont l’apparition avait frappé les yeux,
Encor tout éblouis du rayon de lumière,
Marquaient du pied la place, y roulaient une pierre,
Pour conserver visible à leurs postérités
L’heure où l’homme de Dieu les avait visités.