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Même jour, 11 heures.


Toutes les fois qu’une forte impression remue mon âme, je me sens le besoin de dire, d’écrire à quelqu’un ce que j’éprouve, de trouver quelque part une joie de ma joie, un retentissement de ce qui m’a frappé. Le sentiment isolé n’est pas complet : l’homme a été créé double.

Hélas ! quand je regarde maintenant autour de moi, il y a déjà bien du vide. Julia et Marianne[1] comblent tout à elles seules ; mais Julia est encore si jeune, que je ne lui dis que ce qui est à la portée de son âge. C’est tout l’avenir, ce sera bientôt tout le présent pour nous ; mais le passé, où est-il déjà ?

La personne qui aurait joui le plus de mon bonheur en ce moment, c’est ma mère. Dans tout ce qui m’arrive d’heureux ou de triste, ma pensée se tourne involontairement vers elle. Je crois la voir, l’entendre, lui parler, lui écrire. Quelqu’un dont on se souvient tant n’est pas absent ; ce qui vit si complétement, si puissamment dans nous-mêmes n’est pas mort pour nous. Je lui fais toujours sa part, comme pendant sa vie, de toutes mes impressions, qui devenaient si vite et si entièrement les siennes ; qui s’embellissaient, se coloraient, s’échauffaient dans son imagination rayonnante,

  1. Madame de Lamartine.