Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/19

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Non, je laisse en pleurant, aux flancs d’une vallée,
Des arbres chargés d’ombre, un champ, une maison
De tièdes souvenirs encor toute peuplée,
Que maint regard ami salue à l’horizon.
J’ai sous l’abri des bois de paisibles asiles
Où ne retentit pas le bruit des factions,
Où je n’entends, au lieu des tempêtes civiles,

Que joie et bénédictions.

 

Un vieux père, entouré de nos douces images,
Y tressaille au bruit sourd du vent dans les créneaux,
Et prie, en se levant, le Maître des orages
De mesurer la brise à l’aile des vaisseaux ;
De pieux laboureurs, des serviteurs sans maître,
Cherchent du pied nos pas absents sur le gazon,
Et mes chiens au soleil, couchés sous ma fenêtre,

Hurlent de tendresse à mon nom.

 

J’ai des sœurs qu’allaita le même sein de femme,
Rameaux qu’au même tronc le vent devait bercer ;
J’ai des amis dont l’âme est du sang de mon âme,
Qui lisent dans mon œil et m’entendent penser ;
J’ai des cœurs inconnus, où la muse m’écoute,
Mystérieux amis à qui parlent mes vers,
Invisibles échos répandus sur ma route

Pour me renvoyer des concerts.

 

Mais l’âme a des instincts qu’ignore la nature,
Semblables à l’instinct de ces hardis oiseaux
Qui leur fait, pour chercher une autre nourriture,
Traverser d’un seul vol l’abîme aux grandes eaux.
Que vont-ils demander aux climats de l’aurore ?
N’ont-ils pas sous nos toits de la mousse et des nids ?
Et, des gerbes du champ que notre soleil dore,

L’épi tombé pour leurs petits ?