Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/203

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cesse remplie d’Arabes des montagnes, de moines maronites, de scheiks druzes, de femmes, d’enfants, de malades, qui viennent déjà de quinze à vingt lieues pour nous voir, nous demander des consultations et nous offrir l’hospitalité, si nous voulons passer par leurs terres ; presque tous se font précéder de quelques présents de vins ou de fruits du pays. Nous les recevons bien, nous leur faisons prendre le café, fumer la pipe, boire le sorbet glacé ; je leur donne, en échange de leurs cadeaux, des présents d’étoffes d’Europe, quelques armes, une montre, de petits bijoux de peu de valeur dont j’ai apporté une grande quantité ; ils retournent enchantés de notre accueil, et vont porter au loin et répandre la réputation de l’émir Frangi (c’est ainsi qu’ils m’ont nommé), le prince des Francs. Je n’ai pas d’autre nom dans tous les environs de Bayruth et dans la ville même ; et comme cette considération peut nous être d’une grande utilité pour nos courses aventureuses dans toutes les contrées, M. Jorelle et les consuls européens ont la bonté de ne pas les détromper, et de laisser passer l’humble poëte pour un homme puissant en Europe.

On ne peut se figurer avec quelle rapidité les nouvelles circulent de bouche en bouche dans l’Arabie : on sait déjà à Damas, à Alep, à Latakieh, à Saïde, à Jérusalem, qu’un étranger est arrivé en Syrie et qu’il va parcourir ces contrées. Dans un pays où il y a peu de mouvement dans les choses et dans les esprits, le plus petit événement inusité devient tout de suite le sujet des conversations ; il circule, avec la rapidité de la parole, d’une tribu à l’autre ; l’imagination sensible, exaltée des Arabes grossit et colore tout, et une renommée est faite en quinze jours, à cent lieues de