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Je n’ai pas entendu, du fond de ses abîmes,
Le Jourdain lamentable élever ses sanglots,
Pleurant avec des pleurs et des cris plus sublimes
Que ceux dont Jérémie épouvanta ses flots ;
Je n’ai pas écouté chanter en moi mon âme
Dans la grotte sonore où le barde des rois
Sentait au sein des nuits l’hymne à la main de flamme

Arracher la harpe à ses doigts.

 

Et je n’ai pas marché sur des traces divines,
Dans ce champ où le Christ pleura sous l’olivier ;
Et je n’ai pas cherché ses pleurs sur les racines
D’où les anges jaloux n’ont pu les essuyer !
Et je n’ai pas veillé pendant des nuits sublimes
Au jardin où, suant sa sanglante sueur,
L’écho de nos douleurs et l’écho de nos crimes

Retentirent dans un seul cœur !

 

Et je n’ai pas couché mon front dans la poussière
Où le pied du Sauveur en partant s’imprima ;
Et je n’ai pas usé sous mes lèvres la pierre
Où, de pleurs embaumé, sa mère l’enferma !
Et je n’ai pas frappé ma poitrine profonde
Aux lieux où, par sa mort conquérant l’avenir,
Il ouvrit ses deux bras pour embrasser le monde,

Et se pencha pour le bénir !

 

Voilà pourquoi je pars, voilà pourquoi je joue
Quelque reste de jours inutile ici-bas.
Qu’importe sur quel bord le vent d’hiver secoue
L’arbre stérile et sec, et qui n’ombrage pas ?
L’insensé ! dit la foule. — Elle-même insensée !
Nous ne trouvons pas tous notre pain en tout lieu ;
Du barde voyageur le pain, c’est la pensée :

Son cœur vit des œuvres de Dieu !