Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/229

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clave noir entra alors, et, se couchant devant elle, le front sur le tapis et les mains sur la tête, lui dit quelques mots en arabe. « Allez, me dit-elle, vous êtes servi : dînez vite, et revenez bientôt. Je vais m’occuper de vous, et voir plus clair dans la confusion de mes idées sur votre personne et votre avenir. Moi, je ne mange jamais avec personne ; je vis trop sobrement. Du pain, des fruits, à l’heure où le besoin se fait sentir, me suffisent ; je ne dois pas mettre un hôte à mon régime. » — Je fus conduit sous un berceau de jasmin et de laurier-rose, à la porte de ses jardins. — Le couvert était mis pour M. de Parseval et pour moi : nous dînâmes très-vite, mais elle n’attendit même pas que nous fussions hors de table, et elle envoya Léonardi me dire qu’elle m’attendait. — J’y courus ; je la trouvai fumant une longue pipe orientale : elle m’en fit apporter une. J’étais déjà accoutumé à voir fumer les femmes les plus élégantes et les plus belles de l’Orient ; je ne trouvais plus rien de choquant dans cette attitude gracieuse et nonchalante, ni dans cette fumée odorante s’échappant en légères colonnes des lèvres d’une belle femme, et interrompant la conversation sans la refroidir. — Nous causâmes longtemps ainsi, et toujours sur le sujet favori, sur le thème unique et mystérieux de cette femme extraordinaire, magicienne moderne, rappelant tout à fait les magiciennes fameuses de l’antiquité ; — Circé des déserts. Il me parut que les doctrines religieuses de lady Esther étaient un mélange habile, quoique confus, des différentes religions au milieu desquelles elle s’est condamnée à vivre ; mystérieuse comme les Druzes, dont, seule peut-être au monde, elle connaît le secret mystique ; résignée comme le musulman, et fataliste comme lui ; avec le juif, attendant le Messie, et, avec le chrétien, professant l’adoration du