Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/241

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rerie de leurs chutes, le jeu des ombres ou de la lumière sur leurs flancs ou sur leur surface, semblaient prêter le mouvement et la fluidité. Si le Dante eût voulu peindre, dans un des cercles de son enfer, l’enfer des pierres, l’enfer de l’aridité, de la ruine, de la chute des choses, de la dégradation des mondes, de la caducité des âges, voilà la scène qu’il aurait dû simplement copier : — c’est un fleuve des dernières heures du monde quand le feu aura tout consumé, et que la terre, dévoilant ses entrailles, ne sera plus qu’un bloc mutilé de pierres calcinées, sous les pas du terrible juge qui viendra la visiter. Nous suivîmes cette vallée des lamentations pendant deux heures, sans que la scène variât autrement que par les circuits divers que le torrent suivait lui-même entre les montagnes, et par la manière plus ou moins terrible dont les rochers se groupaient dans leur lit écumant de pierres. — Jamais cette vallée ne s’effacera de mon imagination. Cette terre a dû être la première, la terre de la poésie terrible et des lamentations humaines ; l’accent pathétique et grandiose des prophéties s’y fait sentir dans sa sauvage, pathétique et grandiose nature. Toutes les images de la poésie biblique sont gravées en lettres majuscules sur la face sillonnée du Liban et de ses cimes dorées, et de ses vallées ruisselantes, et de ses vallées muettes et mortes. L’esprit divin, l’inspiration surhumaine qui a soufflé dans les âmes et dans les harpes du peuple poétique à qui Dieu parlait par symboles et par images, frappait ainsi plus fortement les yeux des bardes sacrés dès leur enfance, et les nourrissait d’un lait plus fort que nous, vieux et pâles héritiers de la harpe antique ; nous qui n’avons sous les yeux qu’une nature gracieuse, douce et cultivée, nature civilisée et décolorée comme nous.