Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/27

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pliquer, dis-je, à moi-même comment je vogue à présent sur la vaste mer vers des bords et un avenir inconnus, je suis obligé de remonter à la source de toutes mes pensées, et d’y chercher les causes de mes sympathies et de mes goûts voyageurs. — C’est que l’imagination a aussi ses besoins et ses passions ! Je suis né poëte, c’est-à-dire plus ou moins intelligent de cette belle langue que Dieu parle à tous les hommes, mais plus clairement à quelques-uns, par la voie de ses œuvres. Jeune, j’avais entendu ce verbe de la nature, cette parole formée d’images et non de sons, dans les montagnes, dans les forêts, sur les lacs, aux bords des abîmes et des torrents de mon pays et des Alpes ; j’avais même traduit dans la langue écrite quelques-uns de ses accents qui m’avaient remué, et qui à leur tour remuaient d’autres âmes : mais ces accents ne me suffisaient plus ; j’avais épuisé ce peu de paroles divines que notre terre d’Europe jette à l’homme ; j’avais soif d’en entendre d’autres sur des rivages plus sonores et plus éclatants. Mon imagination était amoureuse de la mer, des déserts, des montagnes, des mœurs, et des traces de Dieu dans l’Orient. Toute ma vie l’Orient avait été le rêve de mes jours de ténèbres dans les brumes d’automne et d’hiver de ma vallée natale. Mon corps, comme mon âme, est fils du soleil ; il lui faut la lumière ; il lui faut ce rayon de vie que cet astre darde, non pas du sein déchiré de nos nuages d’Occident, mais du fond de ce ciel de pourpre qui ressemble à la gueule de la fournaise ; ces rayons qui ne sont pas seulement une lueur, mais qui pleuvent tout chauds, qui calcinent, en tombant, les roches blanches, les dents étincelantes des pics des montagnes, et qui viennent teindre l’Océan de rouge, comme un incendie flottant sur ses lames ! J’avais besoin de remuer, de