Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/283

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larges têtes ; et de nombreux villages brillent à leurs bases ou sur leurs sommets. La mer termine cet horizon ; on suit de l’œil, comme sur une carte immense ou sur un plan en relief, les découpures, les échancrures, les ondulations des côtes, des caps, des promontoires, des golfes de son littoral, depuis le Carmel jusqu’au cap Batroun, dans une étendue de cinquante lieues. L’air est si pur, que l’on s’imagine toucher, en quelques heures de descente, à des points où l’on n’arriverait pas en trois ou quatre jours de marche. À ces distances, la mer se confond, au premier regard, tellement avec le firmament qui la touche à l’horizon, qu’on ne peut distinguer d’abord les deux éléments, et que la terre semble nager dans un immense et double océan. Ce n’est qu’en fixant avec plus d’attention les regards sur la mer, et en voyant briller les petites voiles blanches sur sa couche bleue, que l’on peut se rendre raison de ce qu’on voit. Une brume légère et plus ou moins dorée flotte à l’extrémité des flots, et sépare le ciel et l’eau. Par moments, de légers brouillards, soulevés des flancs des montagnes par les brises du matin, se détachaient comme des plumes blanches qu’un oiseau aurait livrées au vent, et étaient emportés sur la mer, ou s’évaporaient dans les rayons du soleil qui commençait à nous brûler. Nous quittâmes à regret cette magnifique scène, et nous commençâmes à descendre par un sentier tel, que je n’en ai jamais vu de plus périlleux dans les Alpes. La pente est à pic, le sentier n’a pas deux pieds de largeur ; des précipices sans fond le bordent d’un côté, des murs de rochers de l’autre ; le lit du sentier est pavé de roches roulantes, ou de pierres tellement polies par les eaux et par le fer des chevaux et le pied des chameaux, que ces animaux sont obligés de chercher