Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/324

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limpidité. L’habitude que l’on contracte dans les voyages d’Orient de ne boire que de l’eau, et d’en boire souvent, rend le palais excellent juge des qualités d’une eau nouvelle. Il ne manquerait à l’eau du Jourdain qu’une de ces qualités, la fraîcheur. Elle était tiède ; et quoique mes lèvres et mes mains fussent échauffées par une marche de onze heures sans ombre, par un soleil dévorant, mes mains, mes lèvres et mon front éprouvaient une impression de tiédeur en touchant l’eau de ce fleuve.

Comme tous les voyageurs qui viennent, à travers tant de fatigues, de distances et de périls, visiter dans son abandon ce fleuve jadis roi, je remplis quelques bouteilles de ses eaux pour les porter à des amis moins heureux que moi, et je remplis les fontes de mes pistolets de cailloux que je ramassai sur le bord de son cours. Que ne pouvais-je emporter aussi l’inspiration sainte et prophétique dont il abreuvait jadis les bardes de ses sacrés rivages, et surtout un peu de cette sainteté et de cette pureté d’esprit et de cœur qu’il contracta sans doute en baignant le plus pur et le plus saint des enfants des hommes ! Je remontai ensuite à cheval ; je fis le tour de quelques-uns des piliers ruinés qui portaient le pont ou l’aqueduc dont j’ai parlé plus haut : je ne vis rien que la maçonnerie dégradée de toutes les constructions romaines de cette époque, ni marbre, ni sculpture, ni inscription ; — aucune arche ne subsistait, mais dix piliers étaient encore debout, et l’on distinguait les fondations de quatre ou cinq autres ; chaque arche, d’environ dix pieds d’ouverture, — ce qui s’accorde assez bien avec la dimension de cent vingt pieds qu’à vue d’œil je crois devoir donner au Jourdain.