Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/61

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délibérons ; je me décide à y accompagner le capitaine du brick. Nous nous armons de plusieurs fusils et de pistolets pour résister, si l’on voulait employer la force pour nous retenir. Nous mettons à la voile dans le petit canot. Arrivés près de la petite barque sarde qui nous précède, nous descendons sur une plage au fond du golfe. Cette plage borde une plaine inculte et marécageuse. Du sable blanc, de grands chardons, quelques touffes d’aloès, çà et là quelques buissons d’un arbuste à l’écorce pâle et grise dont la feuille ressemble à celle du cèdre, des nuées de chevaux sauvages, paissant librement dans ces bruyères, qui viennent en galopant nous reconnaître et nous flairer, et partent ensuite en hennissant, comme des volées de corbeaux ; à un mille de nous, des montagnes grises, nues, avec quelques taches seulement d’une végétation rabougrie sur leurs flancs ; un ciel d’Afrique sur ces cimes calcinées ; un vaste silence sur toutes ces campagnes ; l’aspect de désolation et de solitude qu’ont toutes les plages de mauvais air dans la Romagne, dans la Calabre ou le long des marais Pontins, voilà la scène : sept ou huit hommes à belle physionomie, le front élevé, l’œil hardi et sauvage, à demi nus, à demi vêtus de lambeaux d’uniformes, armés de longues carabines, et tenant de l’autre main des perches de roseaux pour prendre nos lettres, ou nous présenter ce qu’ils ont à nous offrir, voilà les acteurs. Je réponds en mauvais patois napolitain à leurs questions ; je leur nomme quelques-uns de leurs compatriotes avec qui j’ai été lié d’amitié en Italie dans ma jeunesse : ces hommes deviennent polis et obligeants, après avoir été insolents et impérieux. Je leur achète un mouton, qu’ils équarrissent sur la plage. Nous écrivons : ils prennent nos lettres dans la fente qu’ils ont faite à l’extrémité d’un