Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/90

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pas noire, elle est seulement pâle et perlée comme la couleur d’une glace quand le flambeau est retiré à côté ou placé derrière. L’air aussi semble mort et dormir sur cette couche assouplie des vagues. Pas un bruit, pas un souffle, pas une voile même qui batte contre la vergue, pas une écume qui bruisse et trace le sillage du brick sur ses flancs, qui semblent dormir aussi.

Je regardais cette scène muette de repos, de vide, de silence et de sérénité : je respirais cet air tiède et léger dont la poitrine ne sent ni la chaleur, ni la fraîcheur, ni le poids, et je me disais : Ce doit être là l’air qu’on respire dans le pays des âmes, dans les régions de l’immortalité, dans cette atmosphère divine où tout est immuable, voluptueux, parfait.

Une autre face du ciel. — J’avais oublié la frégate anglaise ; je regardais du côté opposé : elle était là, en mer, à quelques encâblures de nous. Je me retournai par hasard ; mes yeux tombèrent sur ce majestueux colosse, qui reposait immobile, immense, sans le moindre balancement de sa quille, comme sur un piédestal de marbre poli.

La masse gigantesque et noire du corps de vaisseau se détachait en sombre de sa base argentée, et se dessinait sur le fond bleu du ciel, de l’air, de la mer ; pas un soupir de vie ne sortait de ce majestueux édifice ; rien n’indiquait, ni à l’œil ni à l’oreille, qu’il fût animé de tant d’intelligence et de vie, peuplé de tant d’êtres pensants et agissants. On l’eût pris pour un de ces grands débris des tempêtes flottant sans gouvernail, que le navigateur rencontre avec effroi sur