Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/180

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nous reposer de la journée ; mais à peine avions-nous mangé un morceau de galette et le mouton au riz préparé par nos moukres, que nous étions déjà tous à errer, sans guide et au hasard, autour de la colline des ruines ou dans les temples, dont nous avions appris la route le matin. Chacun de nous s’attachait aux débris ou au point de vue qu’il venait de découvrir, et appelait de loin ses compagnons de recherche à venir en jouir avec lui ; mais on ne pouvait s’arracher à un objet sans en perdre un autre, et nous finîmes par nous abandonner, chacun de son côté, au hasard de nos découvertes.

Les ombres du soir, qui descendaient lentement des montagnes de Balbek, et ensevelissaient une à une les colonnes et les ruines dans leur obscurité, ajoutaient un mystère de plus et des effets plus pittoresques à cette œuvre magique et mystérieuse de l’homme et du temps ; nous sentions là ce que nous sommes, comparés à la masse et à l’éternité de ces monuments : des hirondelles qui nichent une saison dans les interstices de ces pierres, sans savoir pour qui et par qui elles ont été rassemblées. Les idées qui ont remué ces masses, qui ont accumulé ces blocs, nous sont inconnues ; la poussière de marbre que nous foulons en sait plus que nous, mais ne peut rien nous dire ; et, dans quelques siècles, les générations qui viendront visiter à leur tour les débris de nos monuments d’aujourd’hui se demanderont de même, sans pouvoir se répondre, pourquoi nous avons bâti et sculpté. Les œuvres de l’homme durent plus que sa pensée ; le mouvement est la loi de l’esprit humain ; le définitif est le rêve de son orgueil ou de son ignorance ; Dieu est un but qui se pose sans cesse plus loin, à mesure