Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/257

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vagues de vapeurs, et les replie en voiles blancs qui vont se coller et se confondre aux cimes de neige, sur lesquelles elles forment de légères taches grises. La vallée apparaît tout entière. Pourquoi l’œil n’a-t-il pas un langage qui peigne d’un seul mot, comme il voit d’un seul regard ?

Je voudrais garder éternellement dans ma mémoire les scènes et les impressions incomparables de la vallée de Hamana. Je suis au-dessus d’un des mille torrents qui sillonnent ses flancs de leur écume bondissante, et vont, à travers les blocs de rochers, de prairies suspendues, les troncs de cyprès, les rameaux de peupliers, les vignes sauvages et les noirs caroubiers, glisser jusqu’au fond de la vallée et se joindre au fleuve central, qui la suit dans toute sa longueur. La vallée est si profonde que je n’en vois pas le fond ; j’entends seulement monter par intervalles les mille bruissements de ses eaux et de ses feuillages, les mugissements de ses troupeaux, les volées lointaines et argentines des cloches de ses monastères. L’ombre du matin est encore au fond du lit de la gorge où bondit le torrent principal. Çà et là, au détour de quelques mamelons, j’aperçois la blanche ligne d’écume qu’il trace dans cette ombre noirâtre. Du même côté de la vallée où nous sommes, je vois monter, à un quart de lieue de distance les uns des autres, trois ou quatre larges plateaux semblables à des piédestaux naturels ; leurs flancs paraissent à pic, et sont de granit grisâtre. Ces plateaux, d’une demi-lieue de tour, sont entièrement couverts de forêts de cèdres, de sapins et de pins-parasols à larges têtes ; on distingue les grands troncs élancés de ces arbres, entre lesquels circule et joue la lumière du matin. Leurs feuillages noirs et immobiles sont interrompus de temps en temps par