Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/332

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Retrouvé à Smyrne un jeune homme de talent que j’avais connu en Italie, M. Deschamps, rédacteur du journal de Smyrne ; il nous témoigna souvenir et sensibilité. Les débris du saint-simonisme avaient été jetés par la tempête à Smyrne, réduits aux dernières extrémités, mais supportant leurs revers avec la résignation et la constance d’une conviction forte ; j’en reçois à bord deux lettres remarquables. — Il ne faut pas juger des idées nouvelles par le dédain qu’elles inspirent au siècle ; toutes les grandes pensées sont reçues en étrangères dans ce monde. Le saint-simonisme a en lui quelque chose de vrai, de grand et de fécond : l’application du christianisme à la société politique, la législation de la fraternité humaine ; sous ce point de vue, je suis saint-simonien. Ce n’est pas l’idée qui a manqué à cette secte éclipsée, mais non morte ; ce ne sont pas les disciples qui lui ont failli non plus ; ce qui leur a manqué, selon moi, c’est un chef, c’est un maître : c’est un régulateur ; je ne doute pas que si un homme de génie et de vertu, un homme à la fois religieux et politique, confondant les deux horizons dans un regard à portée juste et longue, se fût trouvé placé à la direction de cette idée naissante, il ne l’eût métamorphosée en une puissante réalité ; les temps d’anarchie d’idées sont des saisons favorables à la germination des pensées fortes et neuves : la société, aux yeux du philosophe, est dans un moment de déroute ; elle n’a ni direction, ni but, ni chef ; elle en est réduite à l’instinct de conservation : une secte religieuse, morale, sociale et politique, ayant un symbole, un mot d’ordre, un but, un chef, un esprit, et marchant compacte et droit devant elle au milieu de ces rangs en désordre, aurait inévitablement la victoire ; mais il fallait apporter à la société son salut et non sa