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17 mai 1833.


Nous avons suivi tout le jour le canal de Mitylène, où fut Lesbos. Souvenir poétique de la seule femme de l’antiquité dont la voix ait eu la force de traverser les siècles. Il reste quelques vers de Sapho, mais ces vers suffisent pour constater un génie de premier ordre. Un fragment du bras ou du torse d’une statue de Phidias nous révèle la statue tout entière. Le cœur qui a laissé couler les stances de Sapho devait être un abîme de passion et d’images.

L’île de Lesbos est plus belle encore à mes yeux que l’île de Scio. Les groupes de ses hautes et vertes montagnes crénelées de sapins sont plus élevés et plus pittoresquement accouplés. La mer s’insinue plus profondément dans son large golfe intérieur ; les groupes de ses collines, qui pendent sur la mer et voient l’Asie de si près, sont plus solitaires, plus inaccessibles ; au lieu de ces nombreux villages répandus dans les jardins de Scio, on ne voit que rarement la fumée d’une cabane grecque rouler entre les têtes des châtaigniers et des cyprès, et quelques bergers sur la pointe d’un rocher, gardant de grands troupeaux de chèvres blanches. — Le soir, nous doublons, par un vent toujours favorable, l’extrémité nord de Mitylène, et nous apercevons à l’horizon devant nous, dans la brume rose de la mer, deux taches sombres, Lemnos et Ténédos.