Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/349

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mer ; et notre regard alla se perdre, au fond du golfe qui se rétrécissait en s’enfonçant dans les terres, parmi une véritable forêt de mâts.

Nous abordâmes au pied de la ville de Péra, non loin d’une superbe caserne de bombardiers, dont les terrasses recouvertes étaient encombrées d’affûts et de canons. Une admirable fontaine moresque, construite en forme de pagode indienne, et dont le marbre ciselé et peint d’éclatantes couleurs se découpait comme de la dentelle sur un fond de soie, verse ses eaux sur une petite place. La place était encombrée de ballots, de marchandises, de chevaux, de chiens sans maître, et de Turcs accroupis qui fumaient à l’ombre ; les bateliers des caïques étaient assis en grand nombre sur les margelles du quai, attendant leurs maîtres ou sollicitant les passants : c’est une belle race d’hommes, dont le costume relève encore la beauté. Ils portent un caleçon blanc, à plis aussi larges que ceux d’un jupon ; une ceinture de soie cramoisie le retient au milieu du corps ; ils ont la tête coiffée d’un petit bonnet grec en laine rouge, surmonté d’un long gland de soie qui pend derrière la tête ; le cou et la poitrine nus ; une large chemise de soie écrue, à grandes manches pendantes, leur couvre les épaules et les bras. Leurs caïques sont d’étroits canots de vingt à trente pieds de long sur deux ou trois de large, en bois de noyer vernissé et luisant comme de l’acajou. La proue de ces barques est aussi aiguë que le fer d’une lance, et coupe la mer comme un couteau. La forme étroite de ces caïques les rend périlleux et incommodes pour les Francs, qui n’en ont pas l’habitude ; ils chavirent au moindre balancement qu’un pied maladroit leur imprime. Il faut être couché comme les