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coin sans nom du monde, où l’on n’a fait qu’étendre quelques heures ses membres harassés. J’ai bien souvent éprouvé cet amour inné de l’homme pour un abri quelconque, solitaire, inconnu, sur un rivage désert.

Mais ici j’éprouve deux choses contraires : l’une douce, l’autre pénible. D’abord ce plaisir que je viens de peindre, d’avoir le pied ferme sur le sol, un lit qui ne tombe plus, un plancher qui ne vous jette plus sans cesse d’un mur à l’autre, des pas à faire librement devant vous, de grandes fenêtres fermées ou ouvertes à volonté, sans crainte que l’écume s’y engouffre ; les délices d’entendre le vent jouer dans les rideaux sans qu’il fasse pencher la maison, résonner les voiles, trembler les mâts, courir les matelots sur le pont, avec le bruit assourdissant de leurs pas. Bien plus, des communications amiables avec l’Europe, des voyageurs, des négociants, des journaux, des livres, tout ce qui remet l’homme en communion d’idées et de vie avec l’homme ; cette participation au mouvement général des choses et de la pensée, dont nous sommes depuis si longtemps privés. Et, plus que tout cela encore, l’hospitalité chaude, attentive, heureuse ; je dis plus, l’amitié de notre excellent hôte M. Truqui, qui semble aussi heureux de nous entourer de ses soins, de ses prévenances, de tous les soulagements qu’il peut nous procurer, que nous sommes heureux de les recevoir nous-mêmes. Excellent homme, homme rare, dont je n’ai pas deux fois rencontré le pareil dans ma longue vie de voyageur ! Sa mémoire me sera douce tant que je me souviendrai de ces années de pèlerinage, et ma pensée le suivra toujours sur les côtes d’Asie ou d’Afrique, où sa fortune le condamne à finir ses jours.