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Mais quand on a savouré, à l’insu de soi-même, ces premières voluptés du retour à terre, on est tenté de regretter souvent l’incertitude et l’agitation perpétuelles de la vie d’un vaisseau. Au moins là, la pensée n’a pas le loisir de se replier sur elle-même, et de sonder les abîmes de tristesse que la mort a creusés dans notre sein ! La douleur est bien là toujours, mais elle est à chaque instant soulevée par quelque pensée qui empêche que son poids ne soit aussi écrasant : le bruit, le mouvement qui se font autour de vous ; l’aspect sans cesse changeant du pont du navire et de la mer ; les vagues qui se gonflent ou s’aplanissent ; le vent qui tourne, monte ou baisse ; les voiles du navire qu’il faut orienter vingt fois par jour ; le spectacle des manœuvres auxquelles il faut quelquefois s’employer soi-même dans le gros temps ; les mille accidents d’une journée ou d’une nuit de tempête ; le roulis, les voiles emportées, les meubles brisés qui roulent sous l’entre-pont ; les coups sourds, irréguliers de la mer contre les flancs fragiles de la cabine où vous essayez de dormir ; les pas précipités des hommes de quart, qui courent d’un bord à l’autre sur votre tête ; le cri plaintif des poulets, que l’écume inonde dans leurs cages attachées au pied du mât ; les chants des coqs qui aperçoivent les premiers l’aurore, à la fin d’une nuit de ténèbres et de bourrasques ; le sifflement de la corde du loch, qu’on jette pour mesurer la route ; l’aspect étrange, inconnu, bizarre, sau-