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29 mai.


J’ai été conduit ce matin, par un jeune homme de Constantinople, au marché des esclaves.

Après avoir traversé les longues rues de Stamboul qui longent les murs du vieux sérail, et passé par plusieurs magnifiques bazars encombrés d’une foule innombrable de marchands et d’acheteurs, nous sommes montés, par de petites rues étroites, jusqu’à une place fangeuse sur laquelle s’ouvre la porte d’un autre bazar. Grâce au costume turc dont nous étions revêtus, et à la perfection d’idiome de mon guide, on nous a laissés entrer dans ce marché d’hommes. Combien il a fallu de temps et de révélations successives à la raison de l’homme, pour que la force ait cessé d’être un droit à ses yeux, et pour que l’esclavage soit devenu un crime et un blasphème à son intelligence ! Quel progrès ! et combien n’en promet-il pas ? Qu’il y a de choses dont nous ne sommes pas choqués, et qui seront des crimes incompréhensibles aux yeux de nos descendants ! Je pensais à cela en entrant dans ce bazar, où l’on vend la vie, l’âme, le corps, la liberté d’autrui, comme nous vendons le bœuf ou le cheval, et où l’on se croit légitime possesseur de ce qu’on a acheté ainsi. Que de légitimités de ce genre dont nous ne nous rendons pas compte ! Elles le sont cependant, car on ne peut pas demander à l’homme plus qu’il ne sait. Ses convictions sont ses vérités ; il n’en possède pas d’autres. Dieu