Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ce couple, il prit le courtier à l’écart, et lui avoua que l’esclave n’était pas à vendre ; qu’elle était l’esclave d’un riche Turc dont cet enfant était fils ; qu’elle était d’une humeur trop fière et trop indomptable dans le harem, et que, pour la corriger et l’humilier, son maître l’avait envoyée au bazar comme pour s’en défaire, mais avec l’ordre secret de ne pas la vendre. Cette correction a souvent lieu ; et quand un Turc est mécontent, sa menace la plus ordinaire est d’envoyer au bazar. Nous passâmes donc.

Nous suivîmes un grand nombre de chambres contenant chacune quatre ou cinq femmes presque toutes noires et laides, mais avec les apparences de la santé. La plupart semblaient indifférentes à leur situation, et même sollicitaient les acheteurs ; elles causaient, riaient entre elles, et faisaient elles-mêmes des observations critiques sur la figure de ceux qui les marchandaient. Une ou deux pleuraient et se cachaient dans le fond de la chambre, et ne revenaient qu’en résistant se placer en évidence sur l’estrade où elles étaient assises. Nous en vîmes emmener plusieurs qui s’en allaient gaiement avec le Turc qui venait de les acheter, prenant leur petit paquet plié dans un mouchoir, et recouvrant leurs visages de leurs voiles blancs. Nous fûmes témoins de deux ou trois actes de miséricorde que la charité chrétienne envierait à celle des bons musulmans. Des Turcs vinrent acheter de vieilles esclaves rejetées de la maison de leurs maîtres pour leur vieillesse et leurs infirmités, et les emmenèrent. Nous demandâmes à quoi ces pauvres femmes pouvaient leur être utiles ? « À plaire à Dieu, » nous répondit le courtier. Et M. Morlach m’apprit que plusieurs musulmans envoyaient ainsi dans les marchés acheter de pauvres esclaves