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moi-même de ces marques si spontanées et si franches d’affection et de reconnaissance : ils lui prenaient les mains, ils baisaient les pans de sa redingote.

« Rustem-Bey ! Rustem-Bey ! » s’écriaient-ils les uns aux autres ; et tous accouraient au-devant de leur ami, palpitant et rougissant d’émotion et de plaisir. Il ne pouvait se débarrasser de leurs caresses : ils lui disaient des paroles charmantes : « Rustem-Bey, pourquoi nous abandonnez-vous depuis si longtemps ? Vous étiez notre père, nous languissons sans vous. Tout ce que nous savons, c’est à vous que nous le devons. Allah et le sultan vous ont envoyé pour faire de nous des hommes ; nous n’étions que des esclaves, des fils d’esclaves. Le nom des Osmanlis était une injure, une moquerie en Europe ; maintenant nous saurons le défendre et l’honorer. Mais dites au sultan qu’il vous renvoie vers nous ; nous n’étudions plus, nous séchons d’ennui et de tristesse. »

Cinq ou six de ces jeunes gens, de figure douce, franche, intelligente, admirable, nous prirent par la main, et nous conduisirent partout. Ils nous ramenèrent ensuite dans leur salon de récréation : c’est un kiosque entouré de fontaines ruisselantes qui s’échappent des murs dans des coupes de marbre : des divans règnent tout alentour ; un escalier, caché dans l’épaisseur des murs, conduit aux offices, où de nombreux esclaves, aux ordres des icoglans, tiennent sans cesse le feu pour les pipes, le café, les sorbets, l’eau et la glace, prêts pour eux. Il y a toutes sortes de jeux dans ce salon ; plusieurs jouaient aux échecs. Ils nous firent servir des sorbets et des glaces ; et, couchés sur le divan, nous causâmes long-