Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/440

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d’un monde enchanté, avec des éléments, des montagnes, des mers et des cieux, d’une forme et d’une couleur inconnues, et des milliers d’ombres vaporeuses et fugitives flottant sur des flots de lumière et de feu. Puis tout est rentré dans le silence et dans la nuit. Les lampions, éteints comme au souffle du vent, ont disparu de toutes les vergues, de tous les sabords des vaisseaux ; et la lune, sortant d’un vallon élevé entre les crêtes de deux montagnes, est venue répandre sa lumière plus douce sur la mer, et détacher, sur un fond de perles, les énormes masses noires et les spectres disséqués des mâts, des vergues et des haubans des navires. Le sultan est reparti sur son léger brick à vapeur, dont la colonne de fumée traînait sur la mer, et s’est évanoui en silence, comme une ombre qui serait venue assister à la ruine d’un empire.

Ce n’était pas Sardanapale éclairant des lueurs de son bûcher les débris de son trône écroulé. C’était le meurtre d’un empire chancelant, obligé de demander à ses ennemis appui et protection contre un esclave révolté, et assistant à leur gloire et à sa propre humiliation. Que pouvaient penser les vieux Osmanlis qui voyaient les lueurs du camp des barbares chrétiens et les étoiles de leurs feux de joie éclater sur les montagnes sacrées de l’Asie, retomber sur le dôme des mosquées, et aller se réverbérer jusque sur les murailles des vieux sérails ? Que pensait Mahmoud lui-même, sous le sourire affecté de ses lèvres ? Quel serpent lui dévorait le cœur ? — Ah ! il y avait là-dedans quelque chose de profondément triste, quelque chose qui brisait le cœur pour lui, et qui aurait dû suffire, selon moi, pour lui rendre l’héroïsme par le remords.