Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/456

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commence à trouver dans les maisons quelques meubles d’Europe ; les femmes ne sont plus voilées ; on trouve dans les prairies et dans les bois des bandes de jeunes hommes et de jeunes filles allant ensemble aux travaux des champs, et chantant des airs nationaux qui rappellent le ranz des vaches. Ces jeunes filles sont vêtues d’une chemise, plissée à mille plis, qui couvre les épaules et le sein, et d’un jupon court de laine brune ou rouge ; leur fraîcheur, leur gaieté, la limpidité de leurs fronts et de leurs yeux, les font ressembler aux belles femmes de Berne ou des montagnes de Lucerne.

Là, nos fidèles compagnes de tous les konaks de Turquie nous abandonnent ; nous ne voyons plus les cigognes, dont les larges nids, semblables à des berceaux de jonc, couronnent le sommet de tous les dômes des mosquées dans la Turquie d’Europe, et servent de toit aux minarets écroulés. Tous les soirs, en arrivant dans les villages ou dans les kans déserts, nous les voyions deux à deux errer autour de notre tente ou de nos masures ; les petits, élevant leurs longs cous hors du nid comme une nichée de serpents, tendent le bec à la mère, qui, suspendue à demi sur ses larges ailes, leur partage la nourriture qu’elle rapporte des marais voisins ; et le père, planant immobile à une grande hauteur au-dessus du nid, semble jouir de ce touchant spectacle. Ces beaux oiseaux ne sont nullement sauvages : ils sont les gardiens du toit comme les chiens sont les gardiens du foyer ; ils vivent en paix avec les nuées de tourterelles qui blanchissent partout le dôme des kans et des mosquées, et n’effarouchent pas les hirondelles. Les Turcs vivent en paix eux-mêmes avec toute la création animée et inanimée : arbres, oiseaux