Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/225

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de nos vêtements, nous mit les fers aux pieds, et nous laissa nus sur le sable brûlant. En vain je suppliai qu’on me permît de m’expliquer ; on me menaça de me tuer sur-le-champ, si je ne me taisais. Quelques instants après je vis venir à moi le perfide Absi, le colporteur. Je compris alors la cause du traitement inouï dont j’étais la victime. Il avait voyagé de tribu en tribu pour nous susciter des ennemis. Sa vue m’enflamma d’une telle colère, que je sentis renaître mon courage abattu, et me trouvai prêt à mourir bravement, si je ne pouvais vivre pour me venger. Il s’approcha de moi, et, me crachant au visage : « Chien d’infidèle, me dit-il, de quelle manière veux-tu que je sépare ton âme de ton corps ? — Mon âme, lui répondis-je, n’est point en ton pouvoir ; mes jours sont comptés par le Dieu grand : s’ils doivent finir à présent, peu m’importe de quelle manière ; mais si je dois vivre encore, tu n’as aucune puissance pour me faire mourir. » Il se retira pour aller exciter les Bédouins de nouveau contre moi. En effet, tous, hommes et femmes, vinrent me regarder et m’accabler d’outrages : les uns me crachaient au visage, les autres me jetaient du sable dans les yeux ; plusieurs me piquaient avec leurs djérids ; enfin, je restai vingt-quatre heures sans boire ni manger, souffrant un martyre impossible à décrire. Vers le soir du second jour, un jeune homme nommé Iahour s’approcha de moi, et chassa les enfants qui me tourmentaient. Je l’avais déjà remarqué ; car, parmi tous ceux que j’avais vus dans cette journée, lui seul ne m’avait pas injurié. Il m’offrit de m’apporter du pain et de l’eau à la tombée de la nuit. « La faim et la soif m’importent fort peu, lui répondis-je en le remerciant ; mais si vous pouvez me tirer d’ici, je vous récompenserai généreusement. » Il me