Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/252

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Pendant ce court trajet, mon corps s’enfla prodigieusement, sans donner d’autre signe de vie. Le scheik du village me fit déposer sur un matelas, et envoya chercher un chirurgien à Homs. Je restai neuf heures entières sans montrer la plus légère sensibilité. Au bout de ce temps, j’ouvris les yeux, sans avoir aucune perception de ce qui se passait autour de moi, ni le moindre souvenir de ce qui m’était arrivé. Je me trouvais comme sous l’influence d’un songe, n’éprouvant aucune douleur. Je restai ainsi vingt-quatre heures, et ne sortis de cette léthargie que pour ressentir des douleurs inouïes : mieux eût valu cent fois rester au fond du précipice.

Scheik-Ibrahim ne me quittait pas un instant, et s’épuisait en offres de récompenses au chirurgien, s’il parvenait à me sauver. Il y apportait bien tout le zèle possible, mais il n’était pas très-habile ; et, au bout de trente jours, mon état empira tellement qu’on craignit la gangrène. Le drayhy était venu me voir dès qu’il avait appris mon accident ; lui aussi pleura sur moi, et offrit de riches présents au chirurgien pour activer son zèle ; mais, au plus fort de sa sensibilité, il ne pouvait s’empêcher de témoigner ses regrets de la perte de sa jument Abaïge, qui était de pur sang, et valait dix mille piastres. Au reste, ainsi qu’Ibrahim, le chagrin le mettait hors de lui ; tous deux craignaient non-seulement de me perdre, car ils m’étaient véritablement attachés, mais encore de voir échouer toutes leurs opérations, par suite de ma mort. Je tâchais de les rassurer, leur disant que je ne croyais pas mourir ; mais rien n’annonçait que je serais en état de voyager de bien longtemps, quand même je ne succomberais pas.