Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

théorie a été posée par Socrate : quand, par exemple, dans le Cratyle de Platon, Socrate démontre que les mots ont été adaptés aux choses, non par une simple convention, mais parce qu’ils correspondent à la nature intime des choses, on découvre déjà dans cette nature des choses le germe de « l’essence », que Platon éleva plus tard tellement au-dessus de l’individualité que celle-ci fut réduite à une simple apparence.

Aristote attribue à Socrate deux innovations principales dans la méthode : l’emploi des définitions et l’induction. Ces deux instruments de la dialectique ont trait aux idées générales ; et l’art de discuter, dans lequel excellait Socrate, consistait surtout à faire passer, avec adresse et précision, d’un cas isolé à la généralité pour revenir conclure de la généralité aux faits particuliers. Aussi voit-on se multiplier dans les dialogues de Platon les tours de force, les ruses logiques et les sophismes de tout genre, qui assurent sans cesse la victoire à Socrate. Ce dernier joue souvent avec ses adversaires, comme le chat avec la souris ; il les pousse à lui faire des concessions dont ils ne prévoient pas la portée et leur démontre lui-même, bientôt après, le vice de leur raisonnement. Mais à peine la faute est-elle réparée, que l’antagoniste tombe dans un piège aussi peu sérieux que le premier.

Cette marche de la discussion est tout à fait socratique, bien que la plupart des raisonnements appartiennent à Platon. Il faut avouer aussi que cette manière sophistique de combattre les sophistes se fait bien mieux supporter dans la conversation, dans la lutte instantanée des paroles, où homme contre homme chacun éprouve sa force intellectuelle, que dans une froide dissertation écrite où l’on doit, du moins d’après nos idées, juger, avec des règles beaucoup plus sévères, de la force des arguments.

Il n’est guère probable que Socrate ait eu pleine conscience de ce qu’il faisait, quand il trompait ses adversaires