Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/227

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avec les traditions helléniques, mais sans doute aussi dans cette circonstance que le monothéisme de Mahomet fut le plus rigide et se maintint le plus à l’abri des additions mythiques. Faisons enfin ressortir parmi les causes qui purent dans la suite faciliter une conception matérialiste de la nature, celle dont Humboldt a parlé en détail dans le deuxième volume de son Cosmos : le développement de l’étude esthétique de la nature, sous l’influence du monothéisme et de la culture sémitique.

L’antiquité avait poussé la personnification jusqu’à ses dernières limites ; mais elle n’avait eu que rarement l’idée de considérer la nature comme nature ou de la représenter comme telle. Un homme couronné de roseaux était l’océan ; une nymphe, la source ; un faune ou un Pan, la plaine et le bosquet. Lorsque la campagne eut perdu ses divinités, la véritable étude de la nature commença et l’on contempla avec ravissement la grandeur et la beauté pures des phénomènes naturels.

« Un trait caractéristique de la poésie de la nature chez les Hébreux, dit Humboldt, c’est que, à l’instar du monothéisme, elle embrasse toujours l’ensemble du monde dans son unité, aussi bien la vie terrestre que les espaces lumineux du ciel. Elle s’arrête rarement au phénomène isolé, et se plaît à contempler les grandes masses. On pourrait dire que, dans le seul psaume 104, se trouve l’image du monde entier : le Seigneur, entouré de lumière, a déroulé le ciel comme un tapis. Il a fondé le globe terrestre sur lui-même, afin qu’il reste éternellement immobile. Les eaux se précipitent du haut des montagnes dans les vallées vers les lieux qui leur sont assignés : elles ne doivent jamais franchir leurs digues, mais abreuver tous les animaux de la plaine. Les oiseaux de l’air chantent sous le feuillage. Pleins de sève se dressent les arbres de l’Éternel, les Cèdres du Lilian, que le Seigneur lui-même a plantés pour que les volatiles y nichent, tandis que l’autour construit son aire sur les sapins. »