Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/235

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entend aujourd’hui par ce mot. Tandis que notre pensée, dans bien des questions, porte encore l’empreinte de l’idéologie aristotélique, un élément matérialiste a pénétré ici jusque dans l’opinion vulgaire, grâce à l’influence des sciences physiques et naturelles. Que l’on connaisse ou non l’atomisme, on se figure que la matière est une chose corporelle, partout répandue, sauf dans le vide, d’une essence homogène, bien que soumise à certaines modifications.

Chez Aristote, l’idée de matière est relative. La matière n’existe que par rapport à ce qu’elle doit devenir par l’addition de la forme. Sans la forme, la chose ne peut pas être ce qu’elle est ; par la forme seulement la chose devient, en réalité, ce qu’elle est, tandis qu’auparavant la matière ne donnait que la possibilité de cette chose. Mais la matière a déjà par elle-même une forme, secondaire il est vrai et entièrement indifférente, quant à la chose qui doit recevoir l’existence.

Le bronze d’une statue, par exemple, est la matière ; l’idée de la statue est la forme, et de la réunion des deux résulte la statue réelle. Toutefois le bronze n’est pas la matière en tant que bronze avec telle détermination (en effet comme tel il a une forme, sans aucun rapport avec la statue) ; mais, en tant que bronze en général, c’est-à-dire en tant que quelque chose qui n’existe pas réellement en soi, et peut seulement devenir quelque chose. Par conséquent la matière n’existe que dans la possibilité (δυνάμει ὄν) ; la forme n’existe que dans la réalité ou dans la réalisation (ἐνεργείᾳ ὄν ou ἐντλεχείᾳ ὄν). Passer de la possibilité à la réalité, c’est devenir ; voilà comment la matière est façonnée par la forme.

On voit qu’il n’est pas du tout question ici d’un substratum corporel de toutes choses existant par lui-même. La chose concrète, qui apparaît comme telle, par exemple un tronc d’arbre couché à terre, est tantôt une « substance », c’est-à-dire une chose réalisée, composée de forme et de matière, tantôt une simple matière. Le tronc d’arbre est une « substance », une chose complète comme tronc d’arbre ; il a reçu