Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/241

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mais aucune propriété n’est absolument durable, et en réalité toutes subissent des modifications continuelles. Si l’on voit dans la substance un être isolé, non un genre ou un substratum matériel général, on est forcé, pour en déterminer complètement la forme, de limiter l’examen qu’on en fait à un certain laps de temps et de considérer, pendant ce laps de temps, toutes les propriétés dans leur manifestation comme la forme substantielle, et celle-ci comme l’unique essence de la chose.

Mais, si avec Aristote on parle de ce qui est intelligible (τὸ τί ἦν εἶναι) dans les choses comme de leur véritable substance, on se trouve transporté sur le terrain de l’abstraction, car on fait une abstraction logique aussi bien quand, de l’étude d’une douzaine de chats, on déduit l’idée d’espèce, que lorsque l’on considère comme un seul et même être son propre chat, en le suivant dans toutes les phases de son existence, de son activité et de son repos. C’est sur le seul terrain de l’abstraction que l’opposition de la substance et de l’accident a de la valeur. Pour nous orienter et pour traiter pratiquement les choses, nous ne pourrons sans doute jamais nous passer complètement des oppositions du possible et du réel, de la forme et de la matière, de la substance et de l’accident, qui sont exposées chez Aristote avec une précision magistrale. Mais il n’est pas moins certain qu’on s’égare toujours dans l’analyse positive de ces concepts, aussitôt que l’on oublie leur nature subjective et leur valeur relative, et que, par conséquent, elles ne peuvent contribuer à augmenter notre intuition de l’essence objective des choses.

Le point de vue adopté ordinairement par la pensée empirique et auquel s’en tient le plus souvent le matérialisme moderne, n’est nullement exempt de ces défauts du système d’Aristote ; la fausse opposition, dont nous parlons, est chez lui plus tranchée et plus enracinée, mais elle l’est en sens inverse. On attribue la véritable existence à la matière, qui pourtant ne représente qu’une idée obtenue par l’abstrac-