Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/242

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tion ; on est porté à prendre la matière des choses pour leur substance et la forme pour un simple accident. Le bloc, qui doit se convertir en statue, est regardé par tous comme réel ; la forme qu’il doit recevoir comme simplement possible. Et pourtant il est facile de voir que cela n’est vrai qu’en tant que le bloc a déjà une forme, que je n’examine pas davantage, à savoir celle qu’il possède en sortant de la carrière. Le bloc comme matière de la statue est seulement une conception, tandis que l’idée de la statue, en tant qu’elle est dans l’imagination du sculpteur, a du moins comme représentation une sorte de réalité. Sur ce point donc, Aristote avait raison contre l’empirisme ordinaire. Il n’a d’autre tort que celui de transporter l’idée réelle d’un être pensant dans un objet étranger, soumis à l’étude de cet être, et d’en faire une propriété de cet objet, laquelle n’existerait qu’ « à titre de possibilité. »

Les définitions aristotéliques de la substance, de la forme, de la matière, etc., furent en vogue, en tant qu’on put les comprendre, pendant toute la durée de la scolastique, c’est-à-dire dans notre patrie allemande jusqu’à Descartes et même après lui.

Aristote traitait déjà la matière avec quelque dédain et lui refusait tout mouvement propre ; ce dédain devait encore augmenter par l’influence du christianisme, que nous avons étudiée dans le chapitre précédent. On ne songeait pas que tout ce par quoi la matière peut être quelque chose de déterminé, par exemple de mauvais, de vicieux, doit constituer des formes, d’après le système d’Aristote. On ne modifia pas, il est vrai, le système au point de désigner la matière directement comme mauvaise, comme le mal ; mais on se complut à dépeindre sa passivité absolue ; on la représenta comme une imperfection, sans penser que la perfection de chaque être consiste dans l’appropriation à sa fin ; que, par conséquent, si l’on est assez puéril pour vouloir soumettre à la critique les derniers principes de toute existence, on devrait plutôt louer la matière de ce qu’elle conserve une si belle