Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est en réalité toute la nature et la mère des vivants (58). »

Si nous comparons cette définition de la matière que Carrière regarde comme un des plus grands événements de l’histoire de la philosophie, à celle d’Aristote, nous trouverons entre elles, cette importante différence que, pour Bruno, la matière était, non pas possible, mais réelle et active. Aristote aussi enseignait que dans les objets la forme et la matière sont indissolublement unies ; mais, comme il ne voyait dans la matière que la simple possibilité de devenir tout ce que la forme faisait d’elle, il en résultait que la forme seule était la vraie réalité. Bruno prit la marche inverse. Il fit de la matière la véritable essence des choses : c’est elle qui produit toutes les formes. Cette assertion est matérialiste, et nous serions par conséquent complètement en droit de faire de Bruno un partisan du matérialisme, si, dans des points importants de l’ensemble de son système, il ne tournait au panthéisme.

Au reste, le panthéisme n’est jamais en réalité qu’une variété d’un système moniste. Le matérialiste, qui définit Dieu comme la totalité de la matière animée par elle-même, devient ainsi un panthéiste sans renoncer à son principe matérialiste. Mais en dirigeant son esprit vers Dieu et vers les choses divines, on arrive à cette conséquence naturelle que l’on perd de vue le point de départ ; à mesure qu’on s’enfonce dans l’étude de la question, on conçoit de plus en plus que Pline de l’univers n’est pas produite nécessairement par la matière elle-même, mais que cette âme de l’univers est le principe créateur et, du moins en idée, antérieur à tout le reste. C’est dans ce sens que Bruno conçut toute sa théologie. La Bible, disait-il, a été écrite pour le peuple et par conséquent elle a dû adapter à la portée de son intelligence les explications qu’elle donne de la nature, sans quoi personne n’y aurait cru (59). Le style de Bruno revêt une poésie qui anime presque tous ses ouvrages, écrits les uns en latin, les autres en italien. Son esprit rêveur se