Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est de fonder une religion d’État en opposition aux dogmes individuels, et de l’appuyer sur l’Écriture sainte en établissant, d’un autre côté, la philosophie sur la raison naturelle.

Ces pensées sont ensuite largement développées, surtout dans le Léviathan, tantôt avec une témérité paradoxale, tantôt avec une sagacité naturelle et une logique surprenante. À propos de l’opposition de Hobbes contre Aristote, on doit remarquer principalement un passage du chapitre XLVI, où il affirme que le mal a eu pour cause la confusion du mot avec la chose. Hobbes ici frappe certainement juste quand il voit la source d’innombrables absurdités dans la personnification du verbe être. Aristote a fait du mot être une chose, comme s’il y avait dans la nature un objet désigné par le mot être ! — On peut se figurer de quelle manière Hobbes aurait jugé Hegel !

Sa polémique contre la « théologie », qu’il traite de monstre pernicieux, ne tourne qu’en apparence au profit de l’orthodoxie appuyée sur l’Écriture sainte. En réalité, elle s’accorde plutôt avec une répulsion tacite contre la religion. Mais Hobbes déteste la théologie surtout quand elle va de pair avec l’ambition cléricale, qu’il repousse formellement. Le royaume du Christ n’étant pas de ce monde, le clergé ne doit, selon ce philosophe, prétendre à aucune domination. Aussi Hobbes attaque-t-il tout particulièrement le dogme de l’infaillibilité du pape (20). — Il résulte d’ailleurs de sa définition de la philosophie qu’il ne saurait être question d’une théologie spéculative. En général, la connaissance de Dieu n’est pas du domaine de la science, car la pensée cesse là où il n’y a rien à additionner, rien à soustraire. Il est vrai que le rapport de la cause à l’effet nous amène à admettre une cause dernière à tout mouvement, un principe moteur et primordial ; mais la détermination plus précise de son essence reste quelque chose d’inimaginable, de contradictoire à la pensée même, de sorte que la constatation et l’achèvement de l’idée de Dieu doivent être laissés à la foi religieuse.