Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/400

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battre le cœur, sentir les nerfs et penser le cerveau, nous appellerons ce principe l’âme.

Jusque-là, le point de vue, adopté par de la Mettrie, paraît, à vrai dire, empirique, mais pas précisément matérialiste. Toutefois dans la suite l’ouvrage passe insensiblement au matérialisme d’une manière très-habile, tout en se rattachant sans cesse aux idées et aux formules scholastiques et cartésiennes. De la Mettrie discute l’essence de la matière, ses rapports avec la forme et l’étendue, ses propriétés passives et enfin sa faculté de se mouvoir et de sentir ; en cela il paraît se conformer aux idées de l’école les plus généralement admises, qu’il attribue très-vaguement aux philosophes de l’antiquité, comme s’ils se fussent tous accordés quant à la question principale. Il fait remarquer la distinction rigoureuse, que les anciens établissaient entre la substance et la matière, pour supprimer d’autant plus sûrement cette distinction. Il parle des formes qui seules donnent à la matière passive en soi son mode précis d’existence et son mouvement, pour faire de ces formes, en prenant un petit détour, de simples propriétés de la matière, propriétés inaliénables de la matière et inséparables de son essence.

Le point principal dans cette question, comme déjà dans le stratonisme, est l’élimination du premier moteur immobile (primum movens immobile), du dieu d’Aristote, existant hors du monde et lui imprimant le mouvement. C’est par la forme seulement que la matière devient une substance déterminée ; mais d’où reçoit-elle cette forme ? D’une autre substance, qui est pareillement de nature matérielle, celle-ci d’une autre et ainsi de suite à l’infini, ce qui revient à dire : nous ne connaissons la forme qu’en tant qu’elle est unie à la matière. Dans cette union indissoluble de forme et de matière, les choses qui se transforment réciproquement agissent les unes sur les autres ; et il en est de même du mouvement. Or l’être passif n’est que la matière, qu’en pensée nous séparons (de la forme) ; la matière concrète et réelle n’est