Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/420

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vrai ; mais ils ne décident nullement de son mérite personnel. Nous ne connaissons de lui aucun acte de perversité caractérisée. Il n’a pas envoyé, comme Rousseau, ses enfants à l’hospice ; il n’a pas trompé deux fiancées, comme Swift ; il n’a pas été déclaré coupable de concussion, comme Bacon ; il n’est pas soupçonné, comme Voltaire, d’avoir falsifié des actes publics. Il est vrai que, dans ses écrits, il excuse le crime comme étant une maladie ; mais nulle part il ne le conseille, comme dans la fable décriée des abeilles, de Mandeville (75). De la Mettrie a parfaitement raison d’attaquer la brutale impassibilité des tribunaux ; et, quand il veut substituer le médecin au théologien et au juge, on peut l’accuser de commettre une erreur, mais non de peindre le crime sous des couleurs séduisantes ; car nul ne trouve de beauté dans la maladie. Il y a lieu de s’étonner que, du milieu des haines violentes déchaînées de toutes parts contre de la Mettrie, aucune accusation positive n’ait été articulée contre sa moralité. Toutes les déclamations contre la perversité de cet homme, que nous sommes loin de classer parmi les meilleurs, sont puisées uniquement dans ses écrits, qui, malgré leur ton emphatique et leurs plaisanteries frivoles, renferment cependant un nombre considérable de pensées saines et justes.

La morale de de la Mettrie, telle qu’elle est exposée particulièrement dans son Discours sur le bonheur, contient déjà, tous les principes essentiels de la théorie de la vertu fondée sur l’amour de soi, développée systématiquement plus tard par d’Holbach et Volney. Elle a pour base l’élimination de la morale absolue, qu’elle remplace par une morale relative, fondée sur l’État, sur la société, et pareille à celle qui apparaît chez Hobbes et Locke. De la Mettrie y joint sa théorie personnelle du plaisir, que ses successeurs français répudièrent pour y substituer l’idée plus vague de l’amour de soi. Ce qui lui appartient encore en propre, c’est la grande importance qu’il attache à l’éducation considérée sous