Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/422

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Celui qu’elle rend heureux possède un bonheur supérieur, mais souvent la réflexion détruit le plaisir. L’un se sent heureux par ses simples dispositions naturelles ; l’autre est riche, honoré et amoureux ; malgré cela, il se sent malheureux, parce qu’il est inquiet, impatient et jaloux, parce qu’il est l’esclave de ses passions. L’ivresse produite par l’opium procure par voie physique une sensation de bien-être plus grande que celle que peuvent donner toutes les dissertations philosophiques. Combien serait heureux l’homme qui pourrait éprouver pendant toute sa vie la sensation que l’opium ne produit que momentanément ! Un rêve enchanteur et même une folie attrayante doivent donc être regardés comme une félicité réelle, d’autant plus que souvent l’état de veille diffère peu du rêve. L’esprit, la raison et le savoir sont fréquemment inutiles pour le bonheur, parfois même funestes. Ce sont des ornements accessoires dont l’âme peut se passer, et, bien que la grande masse des hommes s’en passe réellement, elle n’est pas pour cela privée de bonheur. Le bonheur sensuel est, au contraire, le grand moyen, par lequel la nature a donné à tous les hommes les mêmes droits et les mêmes prétentions au contentement, et leur a rendu à tous l’existence également agréable.

C’est ici à peu près, c’est-à-dire après avoir lu seulement un sixième de l’ouvrage complet, que Hettner paraît être arrêté dans son analyse (75 bis) du Discours sur le bonheur ; et même, sur ces points, il a effacé l’enchaînement logique des idées. Or nous n’avons encore que les fondements généraux de cette morale ; et il vaut pourtant la peine d’examiner comment de la Mettrie a construit sur cette base la théorie de la vertu. Mais d’abord un mot encore sur cette base elle-même.

On comprendra, d’après ce qui précède, que de la Mettrie mette au premier rang le plaisir sensuel, uniquement parce que tous peuvent l’éprouver. Il ne nie pas, dans leur essence objective, ce que nous appelons les jouissances intellec-